Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ANNALES MAXIMI

ANNALES MAXIMI

ANNALES MAXIMI. Les grandes annales ont été la plus ancienne forme de l'histoire à Rome [LIBRI ANNALES] 1. Parmi ces libri annales, l'un avait un caractère officiel et public : il était rédigé par les soins du grand pontife, pontifex maximus, et portait, à cause de cela, le nom d'annales maximi'. Toutes nos connaissances sur la nature et la rédaction de ce livre reposent sur les deux passages suivants, l'un de Cicéron, l'autre de Servius, très-diversement interprétés par les auteurs modernes qui se sont occupés de l'histoire primitive de Rome. C'est, dit Cicéron 3, pour conserver les souvenirs publics que, depuis les premiers temps de Rome jusqu'au grand pontife P. Mucius Scévola, le grand pontife recueillait tous les événements de chaque année, et les écrivait sur une table blanchie [ALBUM] qu'il exposait dans sa maison afin que le peuple pût en prendre connaissance. Voilà ce qu'on nomme encore aujourd'hui les grandes annales. Servius complète les notions qui précèdent. Les annales se faisaient, dit-il, de cette manière : tous les ans le grand pontife écrivait, au haut d'une table blanchie [album], les noms des consuls et des autres magistrats; puis il y consignait tous les événements mémorables au dedans et au dehors, sur terre et sur mer, jour par jour4. Voici, suivant Hulleman, auteur d'un travail approfondi sur la matière , les phases par lesquelles la rédaction de ce que l'on appelle les grandes annales a dû passer Dans les premiers temps de Rome, les pontifes seuls possédaient la science nécessaire pour mesurer le temps et pour confier à l'écriture le souvenir des événements mémorables. Ils étaient chargés : 1° de dresser le calendrier; 2° d'établir la suite historique des années en constituant la liste des magistrats éponymes; 3° de prendre les notes historiques relatives à ces deux objets 6. Ces notes s'ap pelaient COMMENTARII, et l'on a souvent confondu, à tort, les commentarii ponti/icum avec les annales maximi. Ils en sont tout à fait distincts. Les commentarii ont précédé les annales et leur ont survécu. Il faut également se garder de les confondre avec les LIBRI PONTIFICALES ou pontificü, qui sont des rituels. C'est de ces commentarii ou documents conservés dans les archives [TABULARIUM], que C. Canuleius se plaignait de ne pas avoir l'accès, l'an 309 de Rome, 445 ans av. J. -C. 7. Par cette exclusion, disait-il, les plébéiens ignorent leur propre histoire, que les étrangers mêmes connaissent. Une grande partie de ces commentarii périt dans l'incendie de Rome,lors de la prise de cette ville par les Gaulois 8. Plus tard, ce qui en était conservé fut réuni en forme de livres, ou au moins mis à la disposition du public ; car ces documents sont cités par Cicéron 9 et Denys d'Halicarnasse 10. On voit qu'ils renfermaient des récits étendus et circonstanciés : on ne peut donc les confondre, comme l'a fait M. Leclerc, avec les annales maximi, dont la rédaction était, au contraire, brève et sèche. On ignore à quelle date le grand pontife exposa pour la première fois devant sa maison l'album, ou la table blanchie, contenant les faits principaux de l'année précédente. Cela du moins n'avait pas encore eu lieu l'an 310 de Rome, quand C. Canuleius prononça le discours cité ou imaginé par Tite-Live. L'historien n'eût pas pu lui faire dire que le peuple romain ignorait son histoire, si cette institution, destinée à la lui faire connaître, avait alors existé. Hulleman pense 1t que l'établissement de l'album fut un subterfuge employé par les patriciens pour se débarrasser des demandes d'accès aux commentarii, renouvelées sans doute avec instance après Canuleius par d'autres tribuns. En communiquant au peuple une partie des faits consignés dans les archives, on lui faisait prendre patience sur la conservation secrète des autres. On sait que Cn. Flavius, au milieu du ve siècle de Rome, divulgua la connaissance des Fastes 13. On peut assigner une date voisine à la création de l'album, qui répond à un besoin analogue de publicité. En tout ceci il n'est pas question du livre appelé annales maximi, lu et cité plus tard par Cicéron, Tite-Live et d'autres historiens. C'est qu'en effet il n'existait pas encore. En voici une preuve. Un passage de la République, de Cicéron, sur lequel nous reviendrons plus loin, prouve que les éclipses de soleil étaient mentionnées à leurs dates dans les annales maximi. Or Caton l'Ancien 13 exposant comment il entend écrire l'histoire, dit qu'il ne veut pas noter quand les vivres sont chers, ou quand il y a quelque éclipse, et il ajoute : a quod in tabula apud pontificem maximum est n . Si le livre des annales maximi avait alors existé, c'est ce point de comparaison qu'il eût plutôt choisi. Caton mourut en 605 de Rome, 150 av. J. -C. L'usage de l'album cessa, comme nous l'apprend Cicéron dans le premier passage cité, sous le grand pontificat de P. Mucius Scévola. Ici encore une date précise nous manque. Ce personnage était déjà pontifex maximus, en 624 de Rome 14, mais l'abrogation dont il s'agit ne date pas né ANN 273 ANN cessairement de son entrée dans le sacerdoce. Hulleman lui assigne l'année 628 15, parceque les jeux séculaires, célébrés cette année même, terminaient bien une période historique ; mais les recherches récentes sur la chronologie encore obscure de ces jeux ne confirment pas l'hypothèse de leur célébration en 628. En tout cas la suppression de l'album est, comme on le voit, des premières années du vu' siècle de Rome. Le motif de cette suppression fut la diffusion croissante des connaissances historiques, au moyen des livres de Caton, de Licinius Macer, de Claudius Quadrigarius et autres. Le mot album est traduit en grec par Lapai SHÀTQI IR, afvaxeç =pet Toiç «pycapa"uac xa(,uavot ",tandis que les commentarii sont appelés ypaYai iepopzVTO)V 18. Cicéron et Servius nous apprennent comment l'inscription des événements intéressants se faisait sur l'album. Il faut bien entendre les mots per singulos dies (jour par jour) du commentateur de Virgile. Ils signifient non pas que l'on écrivait chaque matin le résumé des événements de la journée précédente, mais que la date précise du jour même auquel avait eu lieu tel événement, jugé digne de figurer sur l'album, était inscrite avec la mention de ce jour 19. C'est pour avoir mal compris les mots per singulos dies, qu'on a cru que les ACTA OIURNA étaient la continuation des grandes annales, dont ils diffèrent considérablement. Venons enfin au livre appelé annales maximi. Nous avons vu qu'il n'existait pas au temps de Caton, et probablement il ne fut élaboré qu'après la suppression de l'album. P. Mucius, auteur de cette suppression, suggéra l'idée du livre, dont la rédaction fut confiée aux ponts lices minores, ou scribes du collége des pontifes. Ceux-ci, au moment où l'histoire se sécularisait, livraient ainsi au public un travail où étaient condensés les documents recueillis depuis plusieurs siècles parle collége, et propre à perpétuer le souvenir de leurs services. Bien ne prouve, comme on l'a cru, que les annales ne fussent que la reproduction des tables annuelles recopiées bout à bout. Ce travail n'aurait pas été possible ; car ces planches encombrantes n'étaient sans doute pas conservées. Les annales furent rédigées au moyen des comrnentarii accumulés dans les archives : là où les documents faisaient défaut, les rédacteurs puisèrent à d'autres sources, ou bien émirent des conjectures. Par exemple, il est clair que leur récit des premiers temps de Rome n'était point fait à, l'aide de pièces originales. En somme, ils paraissent avoir été assez judicieux dans la critique des traditions qu'ils accueillaient : ainsi ils avaient sagement refusé d'admettre que Numa fût disciple de Pythagore 20. La première éclipse qu'ils mentionnaient était celle de l'an de Rome 350n : le souvenir écrit des autres avait péri dans l'incendie de 'Rome : les pontifes n'avaient pas voulu donner au hasard la liste et la date des éclipses antérieures. Elles furent plus tard calculées par les savants en partant de la première que mentionnaient les annales, et qui est réelle. Caton et Cicéron `-" s'accordent à dire qu'il y avait fort peu de détails dans ces annales publiques : elles ne donnaient I. que les faits bruts, énoncés dans un style archaïque et sec. On ignore à quelle époque fut faite la division de cet ouvrage en quatre-vingts livres, division mentionnée par Servius 2'. Elle est due peut-être à Verrius Flaccus, et daterait, en ce cas, du règne d'Auguste. Aulu-Gelle " cite le xi' livre. Les premier, deuxième, quatrième et sixième sont cités par le faux Aurélius Victor (de Origine gentis ramenas); mais ces dernières mentions n'ont évidemment aucune valeur. Beaucoup de critiques ont vu des citations des annales maximi dans les auteurs, là où ceux-ci disent simplement : annales, ou commentarii ponti ficum. Nous avons dit que les commentarii sont tout différents, et annales est le titre commun des anciennes histoires en vers ou en prose. M. E. Hübner ne croit empruntés aux grandes annales que les cinq passages suivants : Dion. d'Halicarn. I, 74; Cic. Rep. I, 16, 25 ; II, 15, 28; A. Gell. Noct. Att. IV, 5; Vopisc., Vita remit. 1mt. C. DE LA BERGE.